Puccini et « Madame Butterfly »

 

Grâce à Madame Butterfly, c’est un plaisir de commencer par Puccini qui est un des derniers représentants du Grand Opéra et l’un des plus grands compositeurs de la fin du 19e et du début du 20e Siècle.

 

Cette immense popularité l’a même desservi. On l’a taxé d’être trop populaire et un certain snobisme le dénigre : sa musique serait trop accessible, trop facile à mémoriser. Il y a toujours eu une divergence entre l’engouement du public et un léger mépris de la critique. On ne peut pourtant nier qu’il a créé de véritables chefs d’œuvres et un langage théâtral parfaitement original et qu’il a également introduit beaucoup d’innovations harmoniques et dramatiques dans ses opéras. C’était un novateur qui était à l’écoute du travail de ses contemporains.

En outre, à l’époque de Puccini, être populaire n’a rien de honteux : on écrit pour un public et les maisons d’opéra montent régulièrement de nouveaux ouvrages.

Par exemple, rien qu’à Turin, en 1866, sous la direction de Toscanini, 80 nouveaux opéras ont été créés pour la saison.

Ces opéras étaient souvent montés à la hâte et retirés aussitôt si le public ne suivait pas. Il ne faut pas oublier que nous sommes en plein âge d’or du Grand Opéra, que le public est exubérant et qu’il n’hésite pas à siffler, à huer, qu’il y a souvent des cabales.

 

D’ailleurs Puccini lui-même au cours de sa carrière, a dû réviser 3 de ses opéras pour qu’ils puissent être présentés à nouveau :

Le Villi en 1884, Edgar en 1891 et 1892, et Madame Butterfly en 1904 : à cette occasion Puccini parlera même carrément de lynchage. Mais ça fait partie intégrante de l’univers de l’opéra en tant que « spettacolo ».

 

 

BIOGRAPHIE

 

Giacomo Puccini est Toscan : il est  né à Lucques le 22 décembre 1858, dans une famille de musiciens d’Eglise très connue dans la région puisqu’elle a régné pendant 5 générations sur la vie musicale de la ville et de sa cathédrale. Mais finalement, toute cette notoriété va plutôt être un fardeau pour le jeune Puccini : à la mort de son père Michele, dans sa première enfance, la mairie va stipuler par décret qu’il devra reprendre la charge de son père (c'est-à-dire Maître du Chœur et organiste de l’église San Martino) dès qu’il en aura l’âge. Pour un enfant, porter le fardeau d’un destin tout tracé par décret municipal, n’est pas très stimulant. Il étudie la musique auprès de son oncle, Fortunato Magi puis à l’Institut Musical Pacini de Lucques. Il devient organiste à l’église et se met à composer dès l’âge de 17 ans  (des messes, des cantates). En 1876 à Pise, il assiste à une représentation de l’Aida de Verdi et c’est une révélation. C’est à ce moment là que serait née sa passion pour l’opéra. Seulement pour pouvoir l’assouvir, il doit entrer au conservatoire et malheureusement la famille Puccini n’est pas riche.

 

Pour gagner de l’argent le jeune Puccini joue du piano dans les tavernes (ce qui développera son sens de l’improvisation) et selon les mauvaises langues, dans les maisons closes. Sa mère réussit toutefois à lui obtenir une bourse d’études Royales et il part pour Milan à la fin de l’année 1880. Là bas c’est un élève doué qui étudie la composition entre de bonne mains : Bazzini (aujourd’hui oublié) et d’Almicare Ponchielli (le célèbre auteur de La Gioconda donnée à la Scala 4 ans avant l’arrivée de Puccini).

Il fait des études brillantes mais il souffre de la misère. Il ne mange pas toujours à sa faim et il a froid : comme le poète Rodolfo dans La Bohème il lui arrivera même de brûler les manuscrits de ses premiers essais de composition pour se réchauffer.

 

 

 

Il écrit son premier opéra, Le Villi  (Les Sorcières) à l’occasion du Concours Sonzogno qui lance un concours d’écriture pour un opéra en un acte. Il ne recevra même pas une mention (peut-être tout simplement parce que les juges n’ont pas réussi à déchiffrer la partition qu’il l’a envoyée sans même la mettre au propre). Il va toutefois en jouer des extraits dans les salons mondains où il se fait remarquer :des fonds sont réunis pour le monter au Teatro dal Verme à Milan en 1884. Ce sera un triomphe, l’ouvrage va être repris dans toute l’Italie : sa carrière est lancée. Notamment grâce au célèbre éditeur Ricordi, qui le remarque et qui restera toujours un ami et un soutien tout au long de sa vie. C’est lui qui lui commande son second opéra, Edgar. Viennent ensuite composer Manon Lescaut (qui fait un triomphe en 1893), La Bohême(1896), Tosca (1900). C’est un maître reconnu, de stature internationale dont les opéras sont joués dans le monde entier, qui va écrire Madame Butterfly.

 

MADAME BUTTERFLY

 

 

L’idée de Madame Butterfly est née à Londres en 1900 : Puccini y dirige les répétitions de Tosca à Covent Garden.

Puccini a toujours eu un rôle très actif dans la production de ses opéras : il choisissait ses interprètes, les directeurs d’orchestre et les théâtres et assistait aux représentations. Il est alors à la recherche d’un sujet pour son prochain opéra et il assiste un peu par hasard à une pièce à succès de l’américain David Belasco (meilleur scénariste et producteur de Broadway à l’époque), elle-même tirée d’une nouvelle d’un autre américain, John Luther Long.

Puccini est tellement enthousiasmé par la pièce qu’il se précipite vers l’auteur à la fin de la représentation pour lui en acheter les droits. Après d’âpres négociations, le contrat est finalement signé en septembre 1901 et ses fidèles librettistes, Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, se mettent au travail.

Il va achever Madame Butterflyen seulement deux ans, le 27 décembre1903, ce qui est d’autant plus court par rapport au temps passé à ses autres opéras qu’il va perdre huit mois de travail suite à un très grave accident de la route qui le rendra boiteux à vie (Puccini était passionné de voitures).

C’est un opéra intéressant car il est représentatif de l’œuvre de Puccini, qui est plutôt placé sous le signe de la femme (près de la moitié de ses 12 opéras portent le nom de leur héroïne (Manon Lescaut, Tosca, Suor Angelica, Turandot et Madame Butterfly) et de l’exotisme .

 

A cette époque, les italiens, tout comme Puccini, regardent vers l’étranger, ils ont le goût de l’exotisme et de l’évasion. C’est l’ensemble du public occidental qui s’éveille alors à l’Orient. Le Japon est à la mode, il inspire les arts et la littérature.

D’ailleurs le thème de l’épouse orientale n’est pas nouveau à l’époque : on pense à Pierre Loti et à sa Mme Chrysanthème, dont André Messager s’est déjà inspiré pour écrire un opéra du même nom en 1893.

Puccini était très méticuleux dans son travail :il s’est beaucoup documenté sur les rites, les coutumes, l’architecture  du Japon et il s’est largement inspiré de la musique traditionnelle japonaise pour ses thèmes (dans Madame Butterfly il y a 7 mélodies authentiquement japonaises dont l’hymne de l’empereur). Il a aussi rencontré la femme de l’ambassadeur du Japon ainsi qu’une actrice japonaise qui se produisait à Milan pour peaufiner les attitudes de Cio-Cio San.

 

SUJET

 

C’est un opéra intimiste, un drame psychologique. C’est une histoire tragique d’amour et de trahison, ainsi qu’un choc de civilisations entre le Japon et l’Amérique.

 

Nous sommes à Nagasaki en 1904. Un jeune officier américain de passage, le lieutenant Pinkerton, épouse une geisha, Madama Butterfly (en japonais italianisé Cio-Cio san, soit Mme Papillon). Pour lui ce mariage n’est qu’un divertissement exotique mais il est pris très au sérieux par la jeune japonaise qui renonce à sa famille et à sa religion. Peu après Pinkerton repart. Espérant son retour, elle l’attend dans une quasi misère avec son fils, né de son union avec l’américain et lui reste fidèle, malgré de nombreuses propositions de mariage. Trois ans plus tard, Pinkerton revient au Japon mais accompagné de son épouse américaine. Quand Cio-Cio San comprend la situation, elle accepte de leur donner l’enfant mais se suicide.

 

 

 

LE DESASTRE DE LA PREMIERE

 

Après les succès coup sur coup de Manon Lescaut, La Bohême(1896) et de Tosca (1900) qui l’ont fait devenir le compositeur italien le plus en vue du début du 20e siècle, un héritier de Verdi en quelque sorte, Puccini s’attendait à un accueil favorable du public mais la première à la Scala, le 17 février 1904, est un fiasco complet. La réaction du public est violente et Puccini parle même de lynchage, d’une bande de « sauvages ivres de haine », qui n’ont même pas écouté une note.

 

 

 

LES RAISONS D’UN TEL REJET

 

- Le problème vient de l’opéra lui-même qui est divisé en deux actes : les italiens sont très susceptibles en matière d’opéra et à l’époque cela rompait avec les habitudes de l’art lyrique italien. Ca rendait aussi l’opéra trop long (du coup un seul acte durait une heure et demie).

- la seconde raison est peut-être « politico-artistique » : il a choisi Rome pour la 1ere de son opéra précédent (Tosca) et Turin pour l’avant-dernier (La Bohême) et nous sommes à Milan…

- Ensuite c’est Toscanini qui dirige l’opéra et à l’époque il s’est fait pas mal d’ennemis à Milan.

- On a aussi évoqué une cabale menée par des détracteurs du compositeur qui auraient été nombreux dans la salle. Cabale peut-être même menée par l’éditeur rival Sonzogno lui-même.

 

 

 

 

PUCCINI REAGIT TRES VITE

Pour Puccini c’est un défi : il croit en cet opéra qui est son préféré. Il va le remodeler en trois mois seulement et le remonter à Brescia le 28 mai : les deux actes de l’origine sont remaniés en trois (le second acte est divisé en deux scènes, la 1ere se terminant par le célèbre chœur à bouche fermée). Puccini en profite pour resserrer encore plus le drame : Puccini voulait quelque chose de très tendu. Ce sera un triomphe :il est rappelé 10 fois sur scène et très vite un succès mondial (Buenos Aires, New York, Paris, Londres, l’Allemagne).