Del Monaco,
un lion de l’opéra italien
Souvent le public croit que les grands artistes sont des personnages mythiques, mais il ne faut pas oublier qu'au fond, se sont des hommes auxquels le talent exalte les caractéristiques et aiguise la sensibilité. Dans cette optique Mario Del Monaco a été un artiste avec un "A" majuscule pour lequel les expériences de la vie commune et les vicissitudes de la vie quotidienne ont été des éléments qu'il a su transférer sur la scène, donnant vie et crédibilité psychologique à ses personnages dans lesquels le public du monde entier s'est reconnu.
A la mesure de sa confrontation avec ses propres
expériences, de Monaco est entré dans l'histoire de
l'opéra dramatique en tant que ténor qui a su
transmettre les souffrances et les joies ressenties, comme seul un
véritable artiste est capable de le faire, non sans que
quelques critiques interprètent ceci comme "accès
de vérisme"
En réalité, cet interprète
humain, généreux, expressif et communicatif, avec une
intensité qui n'a trouvé d'égal parmi les ténors
de son époque, a su "inventer" un nouveau mode
d'expression, un mode moderne et innovant.
Mémorables sont ses phrasés
gravés, sa déclamation formidable, rendue possible par
la voix puissante, de bronze avec des couleurs qui tendaient vers un
métal encore plus précieux, l'or pur, qui sortait à
profusion pour remplir, non seulement les théâtres, mais
aussi l'âme du spectateur.
De là, la capture du
public infailliblement subjugué et entraîné par
sa magnifique voix jusqu'à l'exténuation.
Une voix
soutenue par un souffle interminable et gérée par un
contrôle magistral de l'organe vocal qui lui permettait de
passer de l'aigu puissant à la mi-voix calibrée. Le
tout avec un respect jusqu'alors nouveau pour la diction musicale.
RAPPEL BIOGRAPHIQUE
Né à Florence le 27 juillet 1915 d'une famille de la bonne bourgeoisie (le grand-père maternel était pharmacien) avec ascendance noble (la grand-mère paternelle était la Princesse Palermitaine Caterina Vanni de San Vincenzo). Depuis l'enfance, Mario subit l'influence des intérêts musicaux de la famille. La mère Flora Giachetti, qu'il a lui-même défini comme "ma première muse", possédait une très belle voix. Le père Ettore pratiqua pendant quelques temps l'activité de critique musical à New York.
Après
le transfert de la famille à Crémone, d'abord et à
Tripoli, ensuite pour l'activité professionnelle du père,
les Del Monaco se sont établis à Pesaro où
Mario, devenu élève du Maître Arturo Melocchi,
est sorti diplômé du Conservatoire Rossini.
Pour le
jeune ténor les débuts furent très
difficiles.
Suite à une bourse d'études gagnée
en 1936 pour un cours de perfectionnement au Théâtre
Royal de l'Opéra de Rome, il fut empêtré dans une
grave crise vocale : en effet les enseignants, abusés par sa
mince silhouette, dirigèrent Mario vers un répertoire
lyrique léger, réduisant sa voix au point de la
détruire.
Mario, qui entre temps avait connu Rina
Filippini, une jeune soprano compagne d'études, retourna à
Pesaro auprès du Maître Melocchi chez qui il retrouva le
placement approprié à sa voix naturelle.
Durant la guerre Mario, qui avait endossé
l'uniforme militaire de 1938 à 1943, effectua son service
comme chauffeur à Milan d'abord, puis à Trévise.
Ses
études en autodidacte suivant les indications du Maître
Melocchi, ne connurent de trêve jusqu'à ses débuts
officiels, le 31 décembre 1940 au Théâtre Puccini
de Milan dans le rôle de Pinkerton.
Le 21 juin 1941 le jeune Mario épouse Rina, qui
restera son inséparable compagne et conseillère avisée
pour toute la vie.
De leur union naquirent deux fils :
Giancarlo et Claudio.
L’ARTISTE
Grâce
à son charisme, au côté fascinant de sa voix, à
son phrasé incisif, l'expressivité de son visage, sa
gestuelle et sa mouvance scénique, un mode d'expression qui ne
trouve d'égal dans l'histoire du théâtre lyrique,
il communiquait avec le public jusqu'au quasi hypnotisme.
Le
feeling qui se créait entre lui et les spectateurs était
quelque chose de magique : une caractéristique unique de l'art
de Del Monaco était celle de faire "ressentir" la
joie, la souffrance, la colère, l'abandon que son chant
exprimait maintes fois. Légendaires sont restés les
témoignages discographiques de ses phrases rompues par
l'émotion comme celle que l'on peut entendre dans la scène
finale de "Adriana Lecouvreur" de Cilea : "Adriana
amor" empreinte d'une passion inoubliable.
Les mi-voix de Del Monaco (il fut
injustement accusé de ne pas en avoir) furent effectivement
pour lui l'objet d'une conquête mais il les obtint et elles
étaient magnifiques.
Il suffit d'écouter seulement
pour citer quelques exemples "L'anima ho stanca", d'Adriana
Lecouvreur, "Donna non vidi mai" de Manon Lescaut de
Puccini, "O tu che in seno agli angeli" de la Forza del
destino de Verdi, le duo du premier acte de Tosca de Puccini et "E
lucevan le stelle" du dernier acte, pour se rendre compte de ses
capacités à savoir réduire l'énorme
colonne sonore de sa voix, jusqu'à obtenir des sons bien filés
ou des mi-voix stupéfiantes.
Evidemment, les mi-voix de Del
Monaco doivent être rapportées à sa pleine voix,
à fort calibre, non comparables aux mi-voix des ténors
légers dits "di grazia". N'oublions pas qu'il
était ténor de type "eroico-drammatico".
Une autre interprétation de
stature historique - jusqu'à ce jour un exemple de comparaison
pour tous les ténors - fut celle d'Andrea Chénier de
Giordano. Une fois vaincues les appréhensions de Monsieur
Rudolf Bing - à cette époque, directeur du Metropolitan
de New-York - Del Monaco proposa cette œuvre au public
américain et y obtint un succès épique. Andrea
Chénier fut aimé également aux Etats-Unis. Del
Monaco, en vue de ses débuts dans le rôle (qui eut lieu
à Valdagno (Italie) le 6 octobre 1945), peaufina le rôle
avec le compositeur Umberto Giordano lui-même. Le compositeur
annota de sa main la partition avec laquelle Mario perfectionna
l'étude de ce rôle.
LA VOIX QUI FAIT LA DIFFERENCE
Il est de notoriété que les compositeurs d'opéra lyriques, en composant leurs œuvres, ont bien défini les différents personnages en attribuant à chacun d'entre eux la "vocalité" qui était celle "ad hoc" à leurs intentions expressives. Le devoir de l'interprète, en possession des caractéristiques vocales requises, était ensuite celui de reproduire le rôle de la meilleure façon possible. Afin de rester dans la catégorie des ténors; le répertoire pour ténors s'étend du "tenore lirico" jusqu'au "spinto" ou "drammatico".
La grande valeur de la voix de Mario Del Monaco fut celle de s'être exprimée aux plus hauts niveaux dans les rôles de toutes les "vocalités".
Suivant l'évolution de sa carrière, Del
Monaco est passé de la "vocalité" de ténor
lyrique à celle de lyrico-spinto, puis à celle de
dramatique et héroïque.
DEL MONACO ET OTHELLO
On peut affirmer avec certitude que la voix de Del Monaco se place dans la catégorie des ténors héroïques, ce type de voix si cher à Giuseppe Verdi qui avait une prédilection pour les voix chaudes à couleur sombre.
Il
eut la grande satisfaction de chanter Othello, de Giuseppe Verdi, 427
fois. Il débuta dans ce rôle très jeune, le 21
juillet 1950 au Théâtre Colon de Buenos Aires,
contrairement à beaucoup de ses collègues, mêmes
illustres, qui s'investirent dans ce rôle de Titan seulement à
la fin de leur carrière. Grâce à son
atypique conformation vocale, il fut le plus grand interprète
de tous les temps de ce personnage, insurpassé jusqu'à
ce jour. Othello avec Tito Gobbi (ci-contre)
D'autres grands ténors du XXème siècle ne s'approchèrent jamais de ce rôle au théâtre, se limitant à l'enregistrement de certains airs (airs et duos) sans même enregistrer l'opéra dans son intégralité.
VERITE ET VERISME
Un des chefs d'accusation les plus fréquents
lancés à Del Monaco fut que ses interprétations
dénonçaient un excès de vérisme,
accusations qui devinrent plus lourdes et plus fréquentes
après sa disparition.
De son vivant, les critiques
avancées par ses détracteurs n'entachaient nullement la
stature artistique et les succès fulgurants que le public lui
témoignait lors de chaque représentation.
En fait le public, juge suprême de chaque artiste, était littéralement en délire, y compris pendant la représentation et quand Mario Del Monaco terminait une représentation, il était porté souvent en triomphe.
Après sa disparition,
advenue il y a vingt ans, ses détracteurs ont été
plus insistants, laissant libre cours à l'étrange
plaisir ressenti en tentant de démolir cet extraordinaire
artiste qui avait construit sa splendide carrière sur 35
années de triomphe.
Il y eut divers genres
d'accusations avec de faux prétexte de divers genres : voix de
stentor, monocorde, chante en force, dans chaque personnage on entend
la "vocalité" d'Othello, quand il n'y en a plus, il
y en a encore!
En fait, le "Vérisme" fut
une tendance culturelle d'une extraordinaire portée historique
qui imprégna, outre le milieu musical, les milieux littéraire
et philosophique, et le milieu des arts figuratifs.
Mario Del Monaco aima les opéras
véristes car ils consentaient - disait-il - à créer
des personnages "vrais", proches du mode de vivre et de
souffrir du commun des mortels.
UN CAS EXTRAORDINAIRE
A la fin de l'année 1953, pendant laquelle Mario
interprétait "La Wally" de Catalani à la
Scala avec Renata Tebaldi, les chroniques journalistiques donnèrent
beaucoup d'ampleur au cas d'Irène Mayer, jeune fille
américaine du Maryland, protagoniste d'un étrange
phénomène.
La jeune fille était aveugle mais
quand Mario chantait "elle voyait"!
Tout avait commencé
quand Irène avait assisté à une représentation
d'Aida avec Mario au Met : à un certain moment elle cria : "Je
vois le ténor!". Dès que Del Monaco sortit de
scène, Irène retomba dans l'obscurité. La voix
de Mario opérait sur elle un tel prodige qu'elle pouvait le
décrire en détails.
Mais uniquement en sa présence
: si elle l'écoutait sur disque, il ne se passait rien. Depuis
qu'elle avait perdu la vue en 1949, écouter Del Monaco était
devenue son unique raison de vivre : elle s'était accrochée
à cette voix dans laquelle elle puisait l'inspiration et le
courage car elle sentait "que Mario était une personne
sincère, bonne et intelligente".
Ce
cas étudié par d'illustres médecins apporta
ensuite en guise de conclusion la preuve qu'il ne s'agissait pas de
simulation : Irène "voyait" réellement Del
Monaco car elle était en mesure de référer
chaque attitude de l'artiste, en particulier son habillement, la
position dans laquelle il se trouvait.
Pour éclaircir ce
phénomène, démontré mais difficilement
explicable selon les critères de la médecine
traditionnelle, furent convoqués des experts métapsychiques
: attester de ce phénomène uniquement dans les moments
où Del Monaco chantait en sa présence, tendait à
conclure que sa voix possédait la faculté d'éveiller
des forces mystérieuses dans le subconscient de la jeune fille
qui lui faisaient recouvrer la vue pendant la durée du
chant.
De ce fait, il s'établissait une espèce de
fluide qui communiait les deux esprits et qui "passait" à
travers le chant.
Irène Mayer invitée dans la loge de Mario à la Scala
LE COTE MYSTIQUE
Mario racontait toujours la
profonde émotion que lui suscitait, dès l'enfance, le
son magique de l'orgue.
Durant la prime enfance à Florence,
passant devant la Basilique de Santa Maria del Fiore, il restait
prisonnier des notes enchanteresses que son arrière grand père
maternel, organiste principal de la Basilique, faisait résonner
inondant les énormes voûtes. Pendant toute sa vie Mario
aima faire des concerts de musique sacrée qui, au coin des
Eglises, accompagné par l'orgue, épanouissait son désir
de recueillement et une inspiration mystique jamais éteinte.
Dans sa demeure il a fait monter un magnifique orgue ancien provenant
de la boutique de Domenico Rossi, le fabricant d'orgues des Borboni,
et avec lequel il s'accompagnait bien volontiers.
C'est justement
en chantant dans l'Eglise de Santa Maria delle Grazie à Pesaro
qu'il eut la révélation de sa voix.
Pendant toute sa jeunesse sa participation fut très
demandée durant les célébrations religieuses
dans les Eglises de la région des Marche et de Romagne. Bien
que chanteur affirmé, il ressentait le besoin de moments de
recueillement et de dévotion.
Après son accident de
la route et la longue convalescence qui s'ensuivit, il enregistra, en
1965, un recueil d'airs sacrés en tant qu'Ex Voto.
Rome,
1961, Cité du Vatican.
Mario, Rina et leurs fils reçus
par le Pape Jean XXIII qui, alors Patriarche de Venise, avait été
invité à la Place San Marco (1957) à une
inoubliable soirée de Pagliacci, interprété par
Del Monaco.
L'ACTEUR
Grâce à la souplesse de sa voix riche en harmoniques, au contrôle magistral de l'organe vocal, à un constant perfectionnement technique, soutenu par une intelligence musicale hors du commun et appliquée à l'étude de la partition et du personnage, Del Monaco eut le mérite de s'immiscer parfaitement dans chaque rôle.
C'était une espèce de symbiose qui s'opérait de façon tellement "réelle" qu'elle touchait au plus haut point le spectateur, transformant chaque spectacle en un énorme succès personnel.
En fait le public n'allait plus entendre un opéra, quand chantait Del Monaco, mais allait entendre Mario Del Monaco dans tel ou tel opéra. En d'autres termes, l'attraction principale n'était plus seulement l'opéra qu'on se limitait à écouter, mais l'interprète principal qui attirait l'attention du public.
Mario Del Monaco n'a jamais déçu les attentes : son charme vocal, son sérieux professionnel, le soin méticuleux, non seulement dans l'approfondissement du personnage mais aussi dans la recherche du maquillage, qu'il soignait lui-même dans les moindres détails, lui valurent d'immanquables succès personnels.
Mario Del Monaco savait très
bien jouer vu son évidente préparation théâtrale.
Il
fut l'interprète de beaucoup de films où les événements
créaient des prétextes pour faire chanter le
protagoniste
FILMOGRAPHIE :
1948 : "L'homme au gant gris" avec Annette Bach et Roldano Lupi - Mise en scène de Camillo Mastrocinque
1951 : "Le jeune Caruso" avec Gina Lollobrigida et Ermanno Randi - Mise en scène de Maleno Malenotti
1952 : "Mélodies immortelles" avec Carla del Poggio - Mise en scène de Giacomo Gentiluomo
1953 : "Giuseppe Verdi" avec Anna Maria Ferrero - Mise en scène de Maleno Malenotti et Rafaello Mattarazzo
1954 : "Maison Ricordi" avec Miriam Bru, Martha Toren, Gabriele Ferzetti, Fosco Giachetti, Paolo Stoppa, Andrea Checchi, Nadia Gray, Roldano Lupi, Aldo Silvani - Mise en scène de Carmine Gallone
1954 : "Rigoletto et sa tragédie" avec Aldo Silvani, Janet Vidor, Giuseppina Arnaldi, Tito Gobbi - Mise en scène de Flavio Calzavara
1955 : "La femme la plus belle du monde" avec Gina Lollobrigida, Tamara Les, Anne Vernon, Wanda Primavera, Vittorio Gasmann - Mise en scène de Maleno Malenotti
1955 : "Malheur aux vaincus" avec Anna Maria Ferrero, Lea Padovani, Pierre Cressoy - Mise en scène de Maleno Malenotti et Rafaello Matarazzo
1960 : "Accord final" avec Eleonora Rossi Drago - Mise en scène de John Kafka et Wolfgang Liebeneiner
1967 : "La vie et l'œuvre de Rossini" avec Ubaldo Ubalducci - Mise en scène de Giuseppe Ferrara
1978 : "Premier amour" avec Ornella Muti, Ugo Tognazzi - Mise en scène de Dino Risi;
Une scène de l'Opéra "La Traviata" du film "Giuseppe Verdi"
Avec Eleonora Rossi Drago dans le film
"Accordo finale" 1960 Dans le film : "Guai ai vinti" 1955
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